segunda-feira, março 07, 2005
"La mort du roman sera aussi la tienne"*
*A crónica de Frédéric Beigbeder, na Lire deste mês.

"L'autre soir, je prenais un verre avec une ravissante animatrice de télé, blonde aux yeux bleus et aux pommettes saillantes. Après quelques bloody mary, tout d'un coup, elle se confia à moi. Sans doute les vitamines du jus de tomate: «Tu sais, Frédéric, c'est affreux: je ne lis plus de romans.» Cet aveu semblait lui faire du bien. Elle culpabilisait depuis des mois. «J'ai honte mais tu comprends, je n'ai plus le temps: je dois déjà me taper tous les journaux et magazines, j'ai des piles de Libé en retard, des vieux Nouvel Obs d'il y a trois semaines que je n'ai même pas ouverts, des Madame Figaro entassés, comment veux-tu que je trouve le temps de lire des romans?»

Je me suis alors aperçu que la presse menaçait le livre à cause d'une nouvelle toxicomanie: la magazinite. J'avais déjà eu cette conversation avec Michel Polac, qui m'avait confessé son addiction. Pendant des années, il avait eu du mal à décrocher. Il lisait tous les journaux, tous les jours. Il sacrifiait un temps infini pour faire une revue exhaustive de la presse. De plus en plus de gens en sont atteints: j'en connais même qui ne se contentent pas des magazines français, il faut aussi qu'ils épluchent le Vogue américain, le GQ (Gentleman's Quarterly) allemand, le Vanity Fair italien, le Tatler anglais... au détriment du dernier Modiano. On croit souvent que la télévision tue la lecture mais le véritable ennemi est peut-être le kiosque du coin. Et ce n'est pas tout. Sur sa lancée, ma copine audiovisuelle prolongea sa confession: «Je dois aussi parcourir toutes les biographies de mes invités, leurs témoignages et mémoires, les documents d'actualité, les essais économiques et politiques, forcément ce n'est pas de ma faute si les romans sont moins urgents...» Le roman était en train de disparaître parce qu'il racontait des histoires inutiles, décrivait des personnages imaginaires, distillait des pensées inactuelles, narrait des aventures irréelles. Le roman n'était pas «nécessaire» à notre époque.

Je ne savais plus très bien quoi dire à ma jolie speakerine. Pour gagner du temps, je lui commandai un autre bloody mary. Et puis une image pédagogique me vint comme une douce colère. «Vois-tu, Alexandra, un jour j'espère lointain, tu seras allongée sur un lit d'hôpital, très malade, et le médecin fera une drôle de tête en regardant tes analyses. Ne proteste pas, cela nous arrivera à tous inéluctablement. Et à quoi penseras-tu au moment d'y passer? A tes enfants qui courent sur une plage. Au sourire des hommes que tu as aimés. A des paysages dans des pays lointains, des montagnes vertes sous le soleil, des villages sentant le pain chaud. A des nuages aux formes étranges. A tes parents. Au visage de ta mère le jour de tes dix-huit ans. A celui de ton père quand tu t'es mariée. C'est à tout cela que tu penseras au moment de partir. Quand tu auras les tuyaux dans les bras, tu ne penseras pas à Jean-Pierre Raffarin, ni à George Bush, ni à l'équipe de France de football, ni à France 2 ou Paris Première, ni à la dernière collection de Christian Dior, ni au divorce de Brad Pitt. Toute cette actualité, toute cette presse magazine, tous ces conseils sexuels, ces horoscopes débiles, ces potins vains, toutes ces images éphémères, ces photos chic, ces analyses et bios, ces interviews-portraits de Marc-Olivier Fogiel, ces dossiers très actuels, ces livres fabriqués sur l'économie libérale ou l'avenir de Sarkozy, tout ça c'est du vide, de l'écume, ce n'est rien, ça n'existe même pas! Les choses importantes de ta vie, les journaux n'en parlent jamais. Les choses belles dont tu te souviendras au moment de ta mort ne sont pas imprimées dans les magazines, ni dans les témoignages de stars. Ta nostalgie, tes amours, ta famille, le sens de ton existence, la beauté, la vérité, tout cela est dans les romans et nulle part ailleurs. Il n'y a qu'en lisant des romans que tu as la conscience d'exister. Te priver de romans, c'est te priver de ce qui te rend grande et éternelle. La société actuelle se détruit en fuyant les romans. La mort du roman sera aussi la tienne, la mienne, la nôtre.» Mais elle ne m'écoutait plus. Déjà son portable sonnait. Elle devait replonger dans sa vitesse trépidante. Elle avait des rendez-vous, elle était en retard. Elle me laissa seul avec mes romans inutiles sur les bras. Et je me disais: ô mon Dieu, faites qu'elle ne meure jamais."

© Lire e Frédéric Beigbeder.
posted by George Cassiel @ 11:56 da manhã  
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"Este era un cuco que traballou durante trinta anos nun reloxo. Cando lle chegou a hora da xubilación, o cuco regresou ao bosque de onde partira. Farto de cantar as horas, as medias e os cuartos, no bosque unicamente cantaba unha vez ao ano: a primavera en punto." Carlos López, Minimaladas (Premio Merlín 2007)

«Dedico estas histórias aos camponeses que não abandonaram a terra, para encher os nossos olhos de flores na primavera» Tonino Guerra, Livro das Igrejas Abandonadas

 
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