terça-feira, abril 26, 2005
Novidades francesas

Jean Baudrillard - "Cool memories V" - Galilée, 148 pp., 23 €


Jean Baudrillard - "Cahier de l'Herne" dirigé par François L'Yvonnet - Editions de l'Herne, 328 pp., 49€

Baudrillard et le cinéma du réel
por Gérard DUPUY (14/4/2005 Liberation)

Dans une de ces brochures qu'il sème par poignées, A propos d'Utopie (1), Jean Baudrillard résume son parcours commencé à Reims le 27 juillet 1929 : «Je suis passé d'abord par une radicalité poétique et métaphysique ­ Hölderlin et Rimbaud... ­, entre vingt et trente ans, à la subversion politique, la Guerre d'Algérie, le gauchisme, etc. Ensuite, il y a eu un passage où il a fallu transformer la radicalité politique qui n'avait plus d'enjeux ­ pour laquelle on ne sentait plus d'enjeux... ­ en une radicalité théorique. C'est un parcours, somme toute, qui n'a rien d'original.» Rien d'original ? Peut-être, mais seulement dans la mesure où Baudrillard est plus singulier encore qu'original, ce dont ses lecteurs peuvent aujourd'hui mieux prendre la mesure.

Parmi les signes de la reconnaissance que s'est gagnée un écrivain ou penseur français contemporain, un des plus éloquents est de lui voir consacrer une de leurs monographies par les Editions de l'Herne. Cela vaut une exposition au Grand Palais, ou presque. Le Cahier Baudrillard ne déroge pas à la règle de la série. Il est copieux et inégal, passionnant quoique gâché par son ton uniment élogieux. Impossible de résumer les quelque trente contributions signées le plus souvent par des enseignants. L'oeuvre de Baudrillard y est reprise sous toutes ses facettes : la sociologie, les Amériques, l'échange, l'événement, l'architecture ou la photographie (entre autres). Une collaboration se détache de l'ensemble, qui sera sans aucun doute la plus lue, c'est celle du monographié lui-même.

Il est d'abord présent des deux côtés de l'appareil photographique. Comme objet, d'abord, dans une sorte de simulation du rituel de la biographie en images : le bébé Jean cul nu sur son coussin, le même en premier communiant puis en pioupiou pour finir en toge de docteur honoris causa. Un choix d'oeuvres du photographe désormais reconnu qu'est Baudrillard découvre un univers à la fois déshabité et apaisé, fugitif et sans drame ­ suspendu. Mais, surtout, on trouvera dans ce cahier quelques trouvailles sorties des tiroirs de l'auteur, où certaines attendaient depuis plus d'un demi-siècle comme ses traductions de neuf poèmes de Hölderlin qui rappellent que Baudrillard a commencé puis abandonné une carrière de germaniste.

Un texte de 1948 permet de le découvrir en pataphysicien virulent (et d'ailleurs d'origine contrôlée, car il a été initié à Jarry très jeune par son prof de philo). Or ces diatribes ubusiennes pourraient presque être postdatées d'un demi-siècle. Certes, Baudrillard n'écrit plus aujourd'hui «l'esprit pataphysique est le clou dans le pneu ­ le monde une vesse-de-loup. (...) Le pet est à l'origine du souffle». Mais on trouve déjà, dans cette esquisse d'une «unique solution imaginaire à l'absence de problème», des anticipations fulgurantes de l'antiréalisme radical auquel il a abouti («il n'y a rien à tirer de la mort» ; «il y a la façade et rien derrière» ; «l'humour veut l'humour à l'égard de l'humour»). Ce texte s'oppose explicitement à Artaud, mort la même année et coupable en somme de gnosticisme inachevé, car il «veut la revalorisation de la création et de la mise au monde. (...) Il croit qu'en perçant cet abcès de sorcellerie, il coulera beaucoup de pus, mais à la fin quand même bon dieu du vrai sang» alors que la pataphysique, «contraste parfait (...) est exsangue et ne mouille pas, évoluant dans un univers parodique». Dans Oublier Artaud (1), Baudrillard revient d'ailleurs sur cette opposition, qu'il relativise car «elle a quelque chose de rhétorique» tout en maintenant une certaine distance («Artaud avait encore une expérience culturelle»).

Chercher à savoir en quoi une critique de l'utilitarisme peut être utile est une manière de retomber dedans. Comment en effet s'opposer théoriquement au bien (au discours bienveillant) sans faire de cette opposition une chose positive, louable et finalement bonne ? «La distance analytique s'évanouit à l'usage. Le discours critique devient la pure et simple métastase de la réalité qu'il analyse ­ elle-même devenue critique par capillarité, et perméable au pire. Positif et négatif sont de mèche comme charité et cruauté, comme violence et compassion.» Si la forme littéraire adoptée par Baudrillard s'est peu à peu soustraite à la norme des sciences humaines et de l'essai suivi, c'est pour échapper à la fatale pesanteur d'une démarche argumentative. D'où son usage d'une écriture par fragments, dont la sidération coupe court à l'enlisement (sa hantise pérenne du trop-plein : «il y a trop de tout partout») : «L'aphorisme, c'est prendre une distance telle qu'un horizon de la pensée se dessine sans qu'elle se referme jamais sur elle-même.»

Baudrillard a donné congé à la réalité mais il ne cesse pas pour autant d'observer sa mutation «hyperréelle», inventant ainsi une forme paradoxale de journalisme dont ses chroniques à Libération dans les années 90 ont donné l'exemple (son constat selon lequel «la guerre du Golfe n'a pas eu lieu» est devenu célèbre). La forme aphoristique qu'il a choisie permet à ce spectateur très dégagé de tenir depuis 1980 une sorte de journal de bord, publié en volumes baptisés Cool memories (le cinquième vient de paraître). Les registres subjectif du diariste et objectif de l'observateur s'y entrecroisent. Cela va de notations rêveuses («l'innocence, cette forme légère de déficience mentale, a le même effet aphrodisiaque que la douceur de la peau») à des remarques sur l'époque («De fait, pour nous, l'Histoire est finie, au sens où elle se déroule toute seule, en pilotage automatique et le plus souvent en boucle : nous sommes au-delà du miroir de l'histoire, dans une actualité désincarnée. Mais les autres, ceux qui n'ont pas connu ce stade, ne peuvent qu'y aspirer ou, éventuellement, en détruire les symboles ­ dont cette puissance occidentale en laquelle culmine tout ce qui a pris forme d'histoire»). La brièveté des fragments semble faite pour pousser les journalistes au péché de citation. Ainsi ce conte moral : «Deux amants veulent se faire un cadeau l'un à l'autre. Mais ni l'un ni l'autre n'en ont les moyens. Elle sacrifie sa splendide chevelure brune pour lui offrir un bracelet de montre en platine. Et lui choisit de vendre sa montre pour lui offrir un coffret de peignes en écaille pour sa chevelure.»

Discrètement, Cool memories V laisse percer quelques échos intimes : «Il éprouva soudain une douleur aussi violente que si elle était réelle.» Le corps est à la peine mais «la tête est claire et dure». Le funambule danse sur le fil d'un rasoir bien trempé.

(1) Chez Sens & Tonka (7€). Ce même éditeur publie «Oublier Artaud» (5,5€), «A l'ombre du millénaire» (5,5€) et «le Complot de l'art» (12€).
posted by George Cassiel @ 12:59 da manhã  
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"Este era un cuco que traballou durante trinta anos nun reloxo. Cando lle chegou a hora da xubilación, o cuco regresou ao bosque de onde partira. Farto de cantar as horas, as medias e os cuartos, no bosque unicamente cantaba unha vez ao ano: a primavera en punto." Carlos López, Minimaladas (Premio Merlín 2007)

«Dedico estas histórias aos camponeses que não abandonaram a terra, para encher os nossos olhos de flores na primavera» Tonino Guerra, Livro das Igrejas Abandonadas

 
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